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TENDÔ, la Voie Céleste (version 2) PDF Print E-mail
Thursday, 21 February 2008 15:50
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TENDÔ, la Voie Céleste (version 2)
Naissance d'une passion
une révélation
Hommage à un grand homme
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Introduction

Aux personnes qui souhaiteraient avoir un aperçu succint de notre Aïkidô Ecole de la Voie Céleste (Aïkidô Tendôryû, mais en japonais cela se dit "Tendôrû Aïkidô"), nous recommanderons notre site consacré:

http://aiki.tendo.free.fr ;

aux personnes qui souhaiteraient établir un contact, nous proposons notre adresse électronique:

This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it ...

Enfin nous sollicitons l'indulgence des amis connus et inconnus qui nous feront l'honneur de lire ces lignes et les suivantes, pour les fautes de style et autres que nous ne pourrons malheureusement éviter malgré tous nos efforts... Par avance merci.

Et que notre Voie à tous soit longue!

Pascal OLIVIER, le 20 mars 2007.

 



TENDÔ, la Voie Céleste
 

L'Aïkidô est la pure expression de la Vérité". C'est en ces termes que Morihei UESHIBA, fondateur de cet art merveilleux, définissait sa création, aboutissement de toute une vie de recherche d'une Vérité supérieure, transcendant les simples idées énoncées par les philosophes classiques car parlant pour sa part d'un vécu; or seules les choses dûment éprouvées par l'esprit mais aussi par le corps, son véhicule, sont susceptibles d'être gravées dans la mémoire humaine sans risque de se perdre dans le dédale des suppositions hypothétiques.

Il ne saurait être question de verser dans l'idôlatrie, ni d'ignorer que la démarche initiale de maître UESHIBA répondait à une motivation bien moins noble, puisque, chétif, il entreprit d'abord de se forger un corps d'acier; faible, il s'adonna à la pratique des arts martiaux dans l'unique but de devenir invincible; spécialiste de la baïonnette, il y a tout lieu de penser qu'il expérimenta ses connaissances en la matière sur les champs de batailles lors de la guerre russo-japonaise à laquelle il prit part dans ses jeunes années.

Il n'en reste pas moins que l'Aïkidô comme en principe l'ensemble des BUDÔ (ou arts martiaux du Japon) constitue, dans sa forme mais aussi dans son esprit et sa philosophie (ces deux derniers points étant malheureusement souvent relégués à l'arrière-plan au profit d'une pratique se limitant à une recherche purement technique, donc expressément physique) un leg inestimable, présent de cette inimitable culture japonaise à l'ensemble de l'humanité.

Reprenons pour cela une citation de maître UESHIBA: "l'Aïkidô doit être un pont entre l'Orient et l'Occident". On ne saurait mieux dire qu'il s'adresse aux hommes des cinq continents, qui peuvent décidément construire des choses merveilleuses ensemble lorsqu'ils font preuve de bonne volonté.

En rédigeant ces pages, nous libérerons notre esprit, tant il est vrai que l'on ne peut remplir une coupe qu'à condition qu'elle soit vide, ou vidée. Ceci afin de réapprendre, pour désapprendre à nouveau puis apprendre encore... La Voie est infinie, et nul ne possède le moyen d'en connaître l'aboutissement, sauf peut-être après être passé de l'Autre Côté...

L'expérience n'ayant de valeur que si elle est partagée avec le plus grand nombre, l'on ne s'étonnera pas de trouver dans ce "journal virtuel" des récits de rencontres, des anecdotes, des impressions, des propos émanant de maîtres rencontrés au cours de trente-cinq années de pratique de l'Aikidô (dont dix au Japon), et parmi ceux-ci le plus authentique et le plus séduisant qu'il nous ait été donné de rencontrer: Kenji SHIMIZU.

Fort heureusement, le chemin ne s'arrête pas là! Maître SHIMIZU, dont nous venons tout juste de fêter le 67ème anniversaire au Japon ces derniers jours, nous promet encore de belles années d'enseignement, de cette ascèse si sévère et rigoureuse dont il sait gratifier ses élèves les plus assidus, qui ne restent, c'est sûr, auprès de lui que parce qu'il les bouscule dans leurs certitudes et leur petit confort de vie... même si le fait de s'entendre dire ses quatre vérités avec un franc parler et une justesse désarmante écorne parfois de façon déplaisante cet aspect de notre personnalité que l'on n'a décidément jamais achevé de maîtriser: l'ego.
 

 




Naissance d'une passion


Mais avant tout, une brève rétrospective, afin de faire connaissance...

Qui eût dit qu'une simple visite dans un Dôjô (en l'occurence, celui de Maître FLOQUET) serait le point de départ d'une quête qui ne cessera qu'avec mon dernier souffle?

C'est à la rentrée de 1972 que je pénétrai pour la première fois dans cette vieille salle de la rue Massillon, à Paris sur l'île de la Cité, où enseignait le maître précité. Encore qu'il fut absent ce soir-là, car en stage au Japon d'après ce qu'annonça l'assistant qui dirigeait le cours.

Les techniques m'enchantèrent. Plusieurs élèves de niveau supérieur se livraient à de furieux échanges, l'un attaquant avec un sabre de Kendô (shinaï), un autre avec un poignard en bois. Il se dégageait de ces assauts un réalisme impressionnant; les techniques étaient appliquées avec une relative souplesse et une certaine aisance.

La méthode d'Aîkidô alors enseignée en ce lieu était celle de Maître Minoru MOCHIZUKI, peut-être revue (légèrement arrondie, assouplie) par son fils Hiroo et adaptée par Alain FLOQUET. Cela s'appelait l'Aikidô Yôseïkan, du nom du Dôjô où enseignait maître MOCHIZUKI au Japon, et qui était alors le lieu de référence pour les pratiquants de cette Ecole. Il convient de préciser que cette forme d'Aïkidô n'est plus enseignée aujourd'hui; elle disparut à la faveur, si l'on peut dire, des complications nées vers 1974 et des conflits qui en résultèrent, lorsque des personnes bien intentionnées décidèrent de circonscrire l'appellation d'Aïkidô à certaines Ecoles, certains styles, certains maîtres, et prétendirent en exclure ceux qui ne leur "revenaient" pas pour des raisons inconnues.

Maître Hiroo MOCHIZUKI se retira alors de l'Aïkidô, et créa son propre sport de combat appelé Yôseïkan Budô, terme général englobant une pratique très variée et incluant de multiples arts du Budô, mais qui n'avait plus rien à voir avec l'Aïkidô qui avait jusque là été enseigné sous l'appellation de Yôseïkan. Ceci étant écrit sans la moindre intention de porter un jugement sur l'art créé par Maître Hiroo MOCHIZUKI.

Maître FLOQUET quant à lui maintint le flambeau de l'Aïkidô Yôseïkan pendant un temps, auquel il apporta une évolution significative en développant l'ampleur des mouvements désormais axés sur la spirale, mais sans se départir des préoccupations qui avaient toujours été les siennes: réalisme dans l'attaque et dans l'application des techniques.

D'intéressant, l'Aïkidô en devenait captivant.

Soulignons que l'Aïkidô Yôseïkan était d'une remarquable cohérence. Une progression par Kyû (ou niveaux) était clairement établie, incluant aussi bien des téhodoki ou "rudiments" (ensemble de saisies et de dégagements ponctués de coups) que six techniques de projection de base: Shihô nagé, koté gaeshi (il en existait deux formes: une dite "flexion", courte, qui s'appliquait avec un simple retour des hanches, et une appelée "torsion" ou neji koté gaeshi, plus enveloppée) bien connus des Aïkidokas; s'y ajoutaient une forme de sankyô avec projection vers l'avant appelée yuki chigaï, un mouvement mettant le bras adverse en porte-à-faux appelé tembin nagé (connu sous le nom de udé kimé nagé ou encore jûji nagé selon les Ecoles) ainsi qu'un mouvement de contrôle et de projection vers l'arrière (identifiable comme étant l'ancêtre du moderne irimi nagé), appelé hatchi mawashi.

Ce fut une chance, oui une vraie chance d'être initié à cet Aïkidô assez statique pendant environ un an et demi, avant de voir évoluer la forme qui nous était enseignée vers une logique plus circulaire. Ainsi pouvait-on saisir le pourquoi et le comment de ce qui nous serait enseigné plus tard, et se faire une idée précise de la genèse de l'Aïkidô, de l'origine de ses techniques, et de son évolution au cours du temps.

Nul doute que Maître UESHIBA avait lui-même pratiqué et enseigné ces formes statiques à une époque donnée, comme le révélaient maintes attitudes ou applications techniques dans les films qu'il me fut donné de voir bien des années plus tard. Les techniques statiques correspondaient très certainement à une étape du développement de l'Aïkidô, lorsque cet art, avant de devenir une pratique accessible au grand public, était l'apannage des militaires et des policiers. L'on ne se souciait pas de philosophie, et le partenaire était qualifié d'adversaire. Toutes les techniques étaient basées sur la recherche de l'efficacité. La philosophie viendrait bien assez tôt; pour l'heure, il s'agissait de faire des techniques qui marchaient, et c'est avec perplexité que nous assistions aux démonstrations d'Aïkidô de la "méthode UESHIBA", comme on appelait dans notre Ecole le style des différents maîtres qui se référaient à l'enseignement du fondateur. Tout cela peut paraître bien naïf, mais cela correspond à une époque. Et malgré tout, la "méthode MOCHIZUKI" que nous apprenions était digne d'intérêt.

Soulignons enfin que tous les styles d'Aïkidô intéressants et cohérents qu'il me fut donné de voir ou de pratiquer ultérieurement reprenaient sans coup férir des bases à bien des égards proches de cette forme malheureusement disparue, c'est-à-dire que des mouvements statiques permettant de fixer le centre constituaient la base de la pratique, pour évoluer ensuite vers des formes plus arrondies et amples. En ce sens l'Aïkidô Tendôryû de maître SHIMIZU, qui fut l'élève de maître UESHIBA de 1963 à 1969, soit à l'extrême fin du parcours du Vieux Maître, comporte de façon assez inattendue bien des points communs avec cette première forme dont je fis jadis l'apprentissage.

Maître FLOQUET poursuivit son évolution, incluant dans sa pratique rebaptisée plus tard Aïki-Budô des éléments de Jû-jutsu, ainsi que le travail des armes traditionnelles (sabre et bâton). Ce n'est qu'après mon départ pour le Japon en 1980 qu'il développa son style dans cette direction.

Le sens inné de l'esthétique de ce maître conférait à sa nouvelle pratique une élégance et un naturel réellement fascinants. C'était un plaisir de le voir évoluer dans la spirale fraîchement découverte; sa pratique, déjà très esthétique à l'origine car toujours naturelle, avait pris une nouvelle dimension. C'est au milieu de l'année 1974 qu'il nous expliqua que ses expériences passées lui avaient apporté la preuve que le travail brutal n'apportait que blessures et ne menait nulle part; en conséquence, il nous invitait à pratiquer souplement dorénavant. Comme c'est étrange! Voici un propos émis au gré d'une séance d'Aïkidô, un samedi après-midi, de façon assez anodine; or c'était là un nouveau point de départ pour le tout jeune pratiquant que j'étais (treize ans et demi...). Depuis lors en effet, toute ma pratique a été axée sur la souplesse, la non-résistance, et je me suis toujours refusé à appliquer les techniques avec brutalité, ce qui fit dire parfois à des camarades de Dôjô, lorsque j'étais à l'Aïkikaï, que je n'étais "pas assez méchant". Fort bien; mais faut-il être "méchant" pour pratiquer l'Aïkidô, voie de l'Harmonie et de l'Amour? En japonais, Aï rime avec Amour, et Ki avec Bonheur; l'on connaît des calligraphies où maître UESHIBA a volontairement orthographié Aïki avec les caractères Amour et Bonheur. Est-il normal que l'on doive être "méchant" sur un tatami? Cette question me poursuivit un certain temps, sans que je puisse me résoudre à adhérer à aucune forme de "méchanceté". J'eus confirmation que mon attitude d'esprit était la bonne quelques années plus tard en rencontrant maître SHIMIZU, chez qui la pratique tonique et sans aucune faiblesse exclut cependant toute idée de violence.

Le prochain tournant important, qui allait cette fois décider de mon existence toute entière, intervint quelques années après mes débuts, lorsque, après que j'aie acquis le 1er dan et manifesté un intérêt sans faille pour l'Aïkidô, maître FLOQUET m'incita à le suivre au Japon. Cette destination qui me semblait inaccessible se rapprochait soudainement par le biais de ce projet devenu réalité à l'été 1978. Ce fut une révélation.


 

Une révélation

   

Si le Japon fut certes une révélation, ce ne fut pas du point de vue de l'entraînement.

Dans mon immense naïveté, l'Aïkidô japonais devait être forcément mieux que ce que j'avais appris en France. Et pourtant... Mon maître français ne détenait-il pas lui-même toutes ses connaissances "de première main"? L'acharnement qu'il mettait à vivre dans l'esprit du Budô, comme à nous transmettre également ce même esprit en même temps que la technique, n'était-il pas le meilleur gage d'excellence possible?

En ce qui concerne le Yôseïkan, je ne doutais pas un seul instant y trouver des pratiquants excellents, bien meilleurs que nous tous, plus anciens, plus expérimentés, plus assidus, qui effectueraient peut-être des mouvements plus courts, certes, mais forcément magnifiques, nets, précis, dépouillés, efficaces, que sais-je encore...

Quant à la spirale, à la pratique plus souple, ce que j'avais vu entre temps à Paris avec Maître NORO (j'y reviendrai) ne pouvait qu'avoir été entrée en matière: si j'avais assisté auprès de lui à des démonstrations éblouissantes où il n'était plus question uniquement de technique mais plus simplement d'harmonie, alors qu'est-ce que cela devait être au Japon, mère-patrie de l'Aïkidô! Forcément, cela devait être à peu près la même chose, mais en mieux.

Eh bien, la déception fut grande.

Trente années plus tard, la mâturité aidant, la désillusion aussi dans une moindre mesure, je comprends qu'il était vain et inutile de traverser ciel et mer pour prétendre aller chercher au bout du monde la même chose que ce que l'on avait déjà chez soi. "Comparez deux choses, et vous tuez les deux", nous dit à peu près Krishnamurti; on ne saurait dire les choses plus justement.

Il convenait simplement de s'affranchir de toute idée préconçue, de laisser au vestiaire également les connaissances déjà acquises, qui sont plutôt un fardeau qu'une aide dans ce genre de périple: il faut y aller avec la volonté d'apprendre, y compris quelque chose de très différent que ce que l'on sait, ou croit déjà savoir. Il faut savoir tourner la page, et écrire sur une feuille toute blanche, pour que l'expérience soit réellement bénéfique. Elle le fut dans une certaine mesure, évidemment, mais pas autant qu'elle aurait dû l'être.

De toute façon, il n'était pas question de regretter d'avoir fait le voyage, car le fait d'avoir vu et vécu soi-même une telle expérience, un tel dépaysement, voire une telle désillusion, tout cela était irremplaçable.

Les maîtres rencontrés pratiquaient un Aïkidô que je qualifierais de primitif, avec tout juste ce qu'il faut de spirale pour mériter le nom d'Aïkidô, mais pas plus... La philosophie semblait absente de leur enseignement, du moins pour ce que l'on pouvait en ressentir notamment au contact de leurs élèves, qui travaillaient de manière peu raffinée; les tatamis, plus durs que ceux auxquels nous étions habitués (c'est une constante au Japon), n'étaient pas du meilleur confort, sans oublier l'humidité excessive d'un mois de juillet radieux, qui rendait le moindre déplacement pesant, car les corps transpiraient avant d'avoir bougé.

Une visite d'un soir à l'Aïkikaï ou "centre mondial" (soupir...) se révéla être la plus grande des déceptions. Un maître réputé enseignait, si l'on peut dire (disons qu'il était présent, physiquement, dans la salle), à une poignée de gens, un Aïkidô (si l'on peut dire) sans forme ni consistance, et les gens se traînaient par terre sans élégance, se relevaient sans conviction, se vautraient dans des positions toutes plus affligeantes les unes que les autres... Je ressortis écoeuré, bel et bien désillusionné. Où était-il, ce fabuleux art martial dont il m'avait été donné d'entrevoir une partie du mystère en France, chez mon Maître mais aussi chez quelques autres dont la pratique était d'un tout autre intérêt que ce que j'avais sous les yeux en venant à Tôkyô?

Quant au Yôseïkan, la pratique prenait plutôt la forme d'un combat. Un à un, il fallait passer au milieu, et les élèves nous attaquaient à tour de rôle, et ô surprise dès que l'on essayait de placer un mouvement ils enchaînaient sur autre chose, crochetant une jambes saisissant un bras qui s'attardait, jouant de tous les moyens pour vous précipiter au sol et vous immobiliser.

Cela n'avait donc rien à voir avec l'enseignement si pédagogique de nos maîtres et instructeurs. Les techniques étaient courtes et linéaires, sans spirale, sans souci de la respiration (kokyû) ni de l'étirement du mouvement, ni de sa justesse... L'harmonie n'était évidemment pas non plus au programme. Il fallait juste que cela passe. Il était, dans ces conditions, hors de question de porter le Hakama, tenue traditionnelle si caractéristique de notre art.

La désillusion, donc, à tous points de vue, était grande.

Mais à côté de cela... La découverte de la civilisation japonaise était enchanteresse. Nous la découvrions avec un esprit tout autre que celui du simple touriste amateur de pagodes: notre expérience de l'Aïkidô, et la façon dont notre maître nous avait déjà enseigné les bases du reïgi, politesse, courtoisie et manière de se comporter notamment au sein du Dôjô, tout cela ne nous était certes pas étranger. Bien plus, nous subodorions la subtile relation entre la culture de ce pays fascinant et l'Aïkidô, ou le Budô en général. Ce qui est bien peu dire: toute la culture, toute la civilisation japonaise baigne dans le Budô, qui est la raison d'être originelle de tout un peuple, autour de laquelle tout s'est articulé depuis des millénaires, historiquement, culturellement, civilisationnellement. Il n'y a qu'à voir l'importance symbolique du sabre dans ce pays pour s'en convaincre. Un simple regard d'ensemble sur son histoire est également révélateur. Nous ne donnerons aux amateurs qu'un seul conseil de lecture, qui les mènera forcément chez quelque bouquiniste puisqu'il s'agit d'un ouvrage malheureusement épuisé: "Les Samouraï", de Jean Mabire et Yves Bréhéret. Magnifiquement illustré, tant par le style que par les évènements qui y sont relatés, ce livre est à coup sûr un grand classique, et ce qui a été écrit de mieux sur les sujets Samouraï et Japon, les deux étant forcément liés comme on l'aura compris.

Comment mieux décrire une civilisation qu'en donnant une description de ses personnages? Ils sont eux-mêmes les héritiers d'une culture séculaire, qu'ils ont dans les veines, quelles que soient les circonstances de la vie et au besoin les efforts faits pour s'en affranchir. Les jeunes générations ont tourné le dos à leur héritage; l'avenir nous dira si elles auront été capables de reprendre le flambeau, même différemment, et de préserver tout en mettant en valeur les caractères qui ont assuré au niveau mondial la renommée de leur nation. S'ils auront su également maintenir vivantes la tradition martiale qui n'est pas pour peu dans la réputation de leur pays; pour l'heure, en voyant le peu d'entrain des jeunes à faire carrière dans le Budô et l'attrait qu'ils ont pour un mode de vie facile, progrès oblige, rien n'est moins certain.

S'il était impensable, il y a encore 50 ans, pour un homme japonais de ne pas s'être nourri de culture classique, celle-ci faisant la part belle au Budô (cela n'explique-t-il pas l'esprit d'abnégation et de stratégie fort intelligente que nombre d'entre eux, parfois partis de rien, surent mettre en oeuvre pour développer ce qui devint bientôt l'économie la plus performante du monde?... A partir, soulignons-le, d'un pays totalement dépourvu de matières premières. Tout cela sans sacrifier pour autant les traditions qui, bien plus qu'ici, sont toujours vivantes par-delà les décennies): ainsi chacun se devait-il de maîtriser au moins l'un des trois arts martiaux les plus développés (l'Aïkidô n'était pas encore à l'ordre du jour): karaté, jûdô ou kendô.

L'on enseignait aux Américains qui partaient combattre dans le Pacifique d'abattre à vue tout ennemi japonais: "Au corps à corps, vous n'avez aucune chance, même s'ils sont de taille inférieure: ils sont tous formés aux sports de combat." Cette anecdote me fut révélée par un Américain très âgé qui était effectivement passé par là.

Alors qu'aujourd'hui, c'est bien connu, les mêmes Japonais sont devenus dans bien des cas la proie favorite des pick-pockets! C'est à tout cela que l'on mesure le chemin parcouru, si l'on peut dire, en matière de "démartialisation".

Eh bien, lors de mon premier voyage au Japon, il restait encore visiblement beaucoup d'individus des vieilles générations, chez lesquels on voyait au premier coup d'oeil, je ne dis pas une fierté, mais à tout le moins une prestance, qui trahissait un sens de la loyauté et de l'honneur dans beaucoup de cas.

Certes, les années passent, ici et ailleurs, et il ne reste plus que très peu de ces Très Anciens, témoins de tragédies et de retournements de l'Histoire comme en sut réserver le XXème siècle; à l'époque où je visitai le Japon pour la première fois il en restait encore un certain nombre, dont beaucoup évoluaient dans le milieu du Budô.

Qu'il me soit permis de dresser ci-après le portrait de l'un d'eux.
 

 

 


 

Hommage à un grand personnage

Nous étions tout juste arrivés à Shizuoka, jolie ville située à 170 km au sud de Tôkyô, entre l'océan Pacifique et quelques montagnes brunes, au flanc desquelles s'étalent des hectares de champs de thé, où l'on voit encore aujourd'hui les ouvrières s'affairer, coiffées de leur chapeau pointu et examinant un à un les pieds de ces arbustes qui, plantés côte à côte et se fondant les uns aux autres, taillés de plus en formes arrondies (probablement plus par utilité que par esthétique), se repèrent de très loin comme autant de vagues vertes montant à l'assaut des côteaux.

L'hôtel de style traditionnel où nous logions se trouvait au bord de la rivière Abékawa, à deux cent mètres du Yôseïkan, but principal de notre séjour; encore fallait-il pour accéder à cette auberge gravir le sentier très abrupt qui y menait, car elle était perchée sur une colline.

Nous étions à peine arrivés, et occupés à déballer nos affaires, lorsque parut dans l'encadrure d'une des portes coulissantes un personnage massif et puissant, qui me sembla immense: il s'agissait de maître Minoru MOCHIZUKI, figure légendaire du Budô du XXème siècle (qui disparut à l'âge de 94 ans en 2002), accompagné de l'un de ses fils. Il était vêtu d'une tenue légère d'été, appelée jinbeï: une veste ample en lin, à manches courtes, laissant voir des bras puissants, et une sorte de bermuda de mêmes motifs marron clair sur fond blanc que la veste et tout aussi ample, qui dévoilait des jambes solides et volumineuses. Ses mains étaient énormes, et l'ongle de l'un de ses pouces ressemblait à une griffe, étroite et crochue.

Le visage aux traits volontaires et puissants portait, comme le corps, les marques de dizaines d'années d'entraînement, notamment au Jûdô, dont maître MOCHIZUKI avait été l'un des pionniers, disciple du fondateur. C'est ce dernier qui l'avait envoyé étudier auprès de maître UESHIBA, car il portait, c'est bien connu, le plus vif intérêt à cet art nouveau, l'Aïkidô, qu'il qualifia même de "Budô idéal" (Le respect était mutuel, car lorsque interrogé à la fin de sa vie sur maître KANÔ fondateur du Jûdô, UESHIBA déclara qu'il était "brillant comme le soleil", alors que parlant de lui-même il se définit comparativement et très modestement comme un simple "ver luisant" ...).

Après avoir pratiqué le Jûdô au plus haut niveau, maître MOCHIZUKI entamait donc son ascèse en Aïkidô, en même temps qu'en d'autres disciplines anciennes utilisant les armes: Iaï (art du sabre), Naginata (fauchard ou sorte de hallebarde), bâton...

Cet homme était par conséquent à lui seul toute une légende, car il avait été l'intime des deux plus grands maîtres et éducateurs que le XIXème siècle avait engendrés, tous deux soucieux de fournir à l'humanité entière, bien au-delà des frontières nationales, des arts de paix, de réconciliation définitive, de recherche commune et surtout d'accomplissement mutuel dans un esprit de coopération et d'harmonie: tel était en effet le but recherché par les fondateurs du Jûdô et de l'Aïkidô, deux arts martiaux cousins quoi que différents dans leur approche, mais pas du tout contradictoires à la base.

Maître MOCHIZUKI détenait donc forcément une part de l'héritage des plus grands, au rang desquels il était lui-même. Son aspect terriblement impressionnant semblait temporisé par une sorte de bonté qui lui était naturelle, et que l'on sentait irrémédiablement poindre dès que l'on se trouvait face à lui. Assurément, c'était un personnage.

Une voix gutturale, une expression française limitée mais tout de même fort estimable, qu'il détenait de ses démonstrations d'Aïkidô, les toutes premières faites en France et en Europe à l'aube des années 50; un air bourru mais paradoxalement très noble, quelque peu militaire aussi. Faisons la différence entre le soldat imberbe qui toise hautainement les usagers des aéroports parisiens tout en tenant martialement un fusil déchargé, et le Shôgun, noble officier supérieur qui connaît le prix de la vie, et aura fait dans sa carrière davantage usage de clémence et de bienveillance que de violence et de répression, ces deux dernières étant l'apannage caractérisé des faibles qui jouent les hommes forts... quand ils n'ont personne en face d'eux.

En dehors des films de samouraï où il est de bon ton de montrer au téléspectateur ce qu'il attend, il est bien connu au Japon dans le monde du Budô qu'un maître authentique, ou encore un Bushi aguerri, ne font aucunement montre, ni n'usent de leur technique pour martyriser les autres. Ce fait est témoigné par les très nombreuses lames de sabres authentiques qui ne sont pas du tout abîmées, alors que le fait de trancher un membre laisserait une marque indélébile sur un tranchant à l'origine très pur mais également assez fragile. Retenons enfin que le maître UESHIBA nous enseigne que le vrai maître est "celui qui n'utilisera jamais ses connaissances... Car sa maîtrise sera perçue même par l'individu le plus vil, qui n'osera jamais tenter de l'attaquer, ni de face ni de dos, ni même dans l'obscurité ou pendant son sommeil."

C'est cette puissance, suggérée plutôt qu'affichée, qui émanait de maître Minoru MOCHIZUKI.

Dans ses explications techniques comme en dehors des entraînements, il se dégageait de ce Senseï une autorité naturelle, qui lui semblait innée, tout autant que cette sorte de bonté paternelle, que l'on sentait sous-tendue par une force intérieure très vive. De plus, bien qu'elles ne nous furent pas démontrées lors de ce séjour, je savais que les nombreuses techniques extrêmement originales qui nous étaient parfois enseignées, et qui ne figurent pas dans la progression habituelle de l'Aïkidô, étaient pour certaines ses propres créations, élaborées à partir d'antiques waza issues du Jû-Jutsu et adaptées à la logique de l'Aïkidô. Certaines de ces techniques, fait intéressant, me furent enseignées plus tard par Maître SHIMIZU, qui est lui-même très respectueux du vieux maître et lui avait rendu visite à de nombreuses reprises.

Chaque matin, maître MOCHIZUKI gravissait une colline située non loin du Yôseïkan, pour se rendre à un petit temple Zen que l'on eut été bien en peine de trouver sans l'aide d'un guide connaissant bien la région. Là, il se livrait à la méditation assise ou Za-Zen, sur un épais coussin disposé sur un plancher surélevé face à un mur blanc. Le moine le recevait ensuite pour deviser quelques minutes en buvant une tasse de Mugi-cha, sorte de thé très rafraîchisssant aux céréales (qui se boit indépendamment chaud ou froid et bien entendu sans sucre et sans lait). Lorsque j'accompagnai le Senseï à cette promenade de santé spirituelle, le moine le questionna sur ma présence; et je ne fus pas peu confus que maître MOCHIZUKI, ce très grand maître mondialement connu, en fut réduit à faire l'interprète pour me demander mon âge, la profession de mon père, et répondre aux questions du religieux.

Notre groupe fut en effet convié à accompagner le Senseï dans son ascèse du matin. Or il se trouva que mes compagnons eurent l'idée de me faire une bonne plaisanterie, en se levant sans faire de bruit et en me laissant seul continuer mon sommeil alors qu'ils se rendaient au temple avec le maître. Je me réveillai en sursaut, mais un peu tard, et ne sachant quelle direction prendre pour rejoindre le groupe, restai donc à l'auberge.

Mes amis ne furent pas très longs à revenir, car au Japon l'on ne traîne pas, surtout dans le monde du Budô: les rencontres sont habituellement très riches, très intenses, mais elles ne comportent aucune longueur, et l'on note qu'au moment précis où les participants commencent à avoir le sentiment de n'avoir plus grand chose à se dire, la rencontre prend fin. Histoire de ne pas vivre de temps morts, néfastes en affaires comme en amitié, et bien sûr dans notre ascèse.

J'en fus quitte pour aller présenter mes excuses au vieux Sensei, craignant une réprimande; il n'en fut rien, et le maître, hochant la tête avec compréhension (ou résignation?), m'autorisa, à ma demande, à l'accompagner le lendemain dans sa visite au temple. Son plus jeune fils, qui parlait assez bien le français, me dit ces quelques mots: "D'accord, mais... six heures et demie!"

L'on verra bientôt que la plaisanterie de mes camarades se révéla être l'un de ces coups du destin, dont on ne mesure parfois la portée qu'après que les évènements ont eu lieu. Je leur suis très reconnaissant à la vérité de m'avoir joué ce tour, car il me permit de vivre une expérience qui contribua à me faire comprendre la relation existant entre la pratique physique du Budô, et la vie spirituelle toute aussi intense qui finit nécessairement par en découler.

Le lendemain donc, je fus en avance au Yôseïkan, et craignais plus que tout avoir raté le départ du maître, qui j'en étais sûr ne m'attendrait pas. J'étais là depuis quelques minutes lorsqu'il sortit de son Dôjô (il résidait à l'étage) et se mit en route. Naturellement, je me plaçai légèrement en retrait derrière lui et suivai son allure pour gravir la colline.

Nous avions ainsi cheminé depuis un certain temps lorsque, au détour du sentier, nous nous trouvâmes face au Soleil Levant: l'astre majestueux apparaissait à l'horizon, d'un rouge orangé (alors qu'il est plutôt jaune chez nous) et semblant nous couvrir de sa chaleur bienfaisante en accueillant le jour nouveau. Maître MOCHIZUKI s'arrêta, joignit les mains, les tapa l'une contre l'autre à trois reprises, puis s'inclina très profondément; je mimai ses gestes un à un, et me tins poliment en retrait lorsqu'il entama de sa voix rauque un chant que j'imagine dédié à la Déesse solaire Amaterasu Ômikami, légendaire créatrice de la race japonaise d'après les textes anciens.

Eh bien, ce spectacle était absolument grandiose. Près de trente ans plus tard, les larmes ne sont pas loin tant l'émotion est grande en écrivant ces lignes, et je n'ai qu'une crainte: c'est de ne pas trouver l'inspiration suffisante pour décrire la scène comme elle mérite de l'être.

Crainte assortie d'un regret, celui de n'avoir jamais pu exprimer au Senseï ma reconnaissance pour cet instant unique qu'il me permit de vivre, aussi extraordinaire que la sensation de pénétrer dans la basilique de Vézelay (pour ceux qui ne connaîtraient pas cette expérience, je la recommande: avancez lentement, et ayez le coeur pur: le reste vient tout seul), ou encore de faire retentir la cloche du temple Kiyomizu à Kyôto: c'est une sorte de vibration ou magie du son qui vous remplit d'un bonheur indescriptible, en vous donnant l'impression de fondre dans l'Univers, d'en devenir soi-même un élément, un simple atome, insignifiant certes mais ô combien vivant... C'est une sensation de Paix et d'Harmonie; et l'on éprouve une sorte de reconnaissance immense envers la Création toute entière. Cette sensation ne peut se définir que comme l'Amour Universel; et, à y réfléchir, ne sont-ce pas là les deux choses qui nous tiennent le plus à coeur, à nous les adeptes de l'Aïkidô, Voie de l'Harmonie Totale?

 

Last Updated ( Thursday, 21 February 2008 15:59 )
 

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