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TENDÔ, la Voie Céleste (version 2) - Hommage à un grand homme PDF Print E-mail
Thursday, 21 February 2008 15:50
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TENDÔ, la Voie Céleste (version 2)
Naissance d'une passion
une révélation
Hommage à un grand homme
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Hommage à un grand personnage

Nous étions tout juste arrivés à Shizuoka, jolie ville située à 170 km au sud de Tôkyô, entre l'océan Pacifique et quelques montagnes brunes, au flanc desquelles s'étalent des hectares de champs de thé, où l'on voit encore aujourd'hui les ouvrières s'affairer, coiffées de leur chapeau pointu et examinant un à un les pieds de ces arbustes qui, plantés côte à côte et se fondant les uns aux autres, taillés de plus en formes arrondies (probablement plus par utilité que par esthétique), se repèrent de très loin comme autant de vagues vertes montant à l'assaut des côteaux.

L'hôtel de style traditionnel où nous logions se trouvait au bord de la rivière Abékawa, à deux cent mètres du Yôseïkan, but principal de notre séjour; encore fallait-il pour accéder à cette auberge gravir le sentier très abrupt qui y menait, car elle était perchée sur une colline.

Nous étions à peine arrivés, et occupés à déballer nos affaires, lorsque parut dans l'encadrure d'une des portes coulissantes un personnage massif et puissant, qui me sembla immense: il s'agissait de maître Minoru MOCHIZUKI, figure légendaire du Budô du XXème siècle (qui disparut à l'âge de 94 ans en 2002), accompagné de l'un de ses fils. Il était vêtu d'une tenue légère d'été, appelée jinbeï: une veste ample en lin, à manches courtes, laissant voir des bras puissants, et une sorte de bermuda de mêmes motifs marron clair sur fond blanc que la veste et tout aussi ample, qui dévoilait des jambes solides et volumineuses. Ses mains étaient énormes, et l'ongle de l'un de ses pouces ressemblait à une griffe, étroite et crochue.

Le visage aux traits volontaires et puissants portait, comme le corps, les marques de dizaines d'années d'entraînement, notamment au Jûdô, dont maître MOCHIZUKI avait été l'un des pionniers, disciple du fondateur. C'est ce dernier qui l'avait envoyé étudier auprès de maître UESHIBA, car il portait, c'est bien connu, le plus vif intérêt à cet art nouveau, l'Aïkidô, qu'il qualifia même de "Budô idéal" (Le respect était mutuel, car lorsque interrogé à la fin de sa vie sur maître KANÔ fondateur du Jûdô, UESHIBA déclara qu'il était "brillant comme le soleil", alors que parlant de lui-même il se définit comparativement et très modestement comme un simple "ver luisant" ...).

Après avoir pratiqué le Jûdô au plus haut niveau, maître MOCHIZUKI entamait donc son ascèse en Aïkidô, en même temps qu'en d'autres disciplines anciennes utilisant les armes: Iaï (art du sabre), Naginata (fauchard ou sorte de hallebarde), bâton...

Cet homme était par conséquent à lui seul toute une légende, car il avait été l'intime des deux plus grands maîtres et éducateurs que le XIXème siècle avait engendrés, tous deux soucieux de fournir à l'humanité entière, bien au-delà des frontières nationales, des arts de paix, de réconciliation définitive, de recherche commune et surtout d'accomplissement mutuel dans un esprit de coopération et d'harmonie: tel était en effet le but recherché par les fondateurs du Jûdô et de l'Aïkidô, deux arts martiaux cousins quoi que différents dans leur approche, mais pas du tout contradictoires à la base.

Maître MOCHIZUKI détenait donc forcément une part de l'héritage des plus grands, au rang desquels il était lui-même. Son aspect terriblement impressionnant semblait temporisé par une sorte de bonté qui lui était naturelle, et que l'on sentait irrémédiablement poindre dès que l'on se trouvait face à lui. Assurément, c'était un personnage.

Une voix gutturale, une expression française limitée mais tout de même fort estimable, qu'il détenait de ses démonstrations d'Aïkidô, les toutes premières faites en France et en Europe à l'aube des années 50; un air bourru mais paradoxalement très noble, quelque peu militaire aussi. Faisons la différence entre le soldat imberbe qui toise hautainement les usagers des aéroports parisiens tout en tenant martialement un fusil déchargé, et le Shôgun, noble officier supérieur qui connaît le prix de la vie, et aura fait dans sa carrière davantage usage de clémence et de bienveillance que de violence et de répression, ces deux dernières étant l'apannage caractérisé des faibles qui jouent les hommes forts... quand ils n'ont personne en face d'eux.

En dehors des films de samouraï où il est de bon ton de montrer au téléspectateur ce qu'il attend, il est bien connu au Japon dans le monde du Budô qu'un maître authentique, ou encore un Bushi aguerri, ne font aucunement montre, ni n'usent de leur technique pour martyriser les autres. Ce fait est témoigné par les très nombreuses lames de sabres authentiques qui ne sont pas du tout abîmées, alors que le fait de trancher un membre laisserait une marque indélébile sur un tranchant à l'origine très pur mais également assez fragile. Retenons enfin que le maître UESHIBA nous enseigne que le vrai maître est "celui qui n'utilisera jamais ses connaissances... Car sa maîtrise sera perçue même par l'individu le plus vil, qui n'osera jamais tenter de l'attaquer, ni de face ni de dos, ni même dans l'obscurité ou pendant son sommeil."

C'est cette puissance, suggérée plutôt qu'affichée, qui émanait de maître Minoru MOCHIZUKI.

Dans ses explications techniques comme en dehors des entraînements, il se dégageait de ce Senseï une autorité naturelle, qui lui semblait innée, tout autant que cette sorte de bonté paternelle, que l'on sentait sous-tendue par une force intérieure très vive. De plus, bien qu'elles ne nous furent pas démontrées lors de ce séjour, je savais que les nombreuses techniques extrêmement originales qui nous étaient parfois enseignées, et qui ne figurent pas dans la progression habituelle de l'Aïkidô, étaient pour certaines ses propres créations, élaborées à partir d'antiques waza issues du Jû-Jutsu et adaptées à la logique de l'Aïkidô. Certaines de ces techniques, fait intéressant, me furent enseignées plus tard par Maître SHIMIZU, qui est lui-même très respectueux du vieux maître et lui avait rendu visite à de nombreuses reprises.

Chaque matin, maître MOCHIZUKI gravissait une colline située non loin du Yôseïkan, pour se rendre à un petit temple Zen que l'on eut été bien en peine de trouver sans l'aide d'un guide connaissant bien la région. Là, il se livrait à la méditation assise ou Za-Zen, sur un épais coussin disposé sur un plancher surélevé face à un mur blanc. Le moine le recevait ensuite pour deviser quelques minutes en buvant une tasse de Mugi-cha, sorte de thé très rafraîchisssant aux céréales (qui se boit indépendamment chaud ou froid et bien entendu sans sucre et sans lait). Lorsque j'accompagnai le Senseï à cette promenade de santé spirituelle, le moine le questionna sur ma présence; et je ne fus pas peu confus que maître MOCHIZUKI, ce très grand maître mondialement connu, en fut réduit à faire l'interprète pour me demander mon âge, la profession de mon père, et répondre aux questions du religieux.

Notre groupe fut en effet convié à accompagner le Senseï dans son ascèse du matin. Or il se trouva que mes compagnons eurent l'idée de me faire une bonne plaisanterie, en se levant sans faire de bruit et en me laissant seul continuer mon sommeil alors qu'ils se rendaient au temple avec le maître. Je me réveillai en sursaut, mais un peu tard, et ne sachant quelle direction prendre pour rejoindre le groupe, restai donc à l'auberge.

Mes amis ne furent pas très longs à revenir, car au Japon l'on ne traîne pas, surtout dans le monde du Budô: les rencontres sont habituellement très riches, très intenses, mais elles ne comportent aucune longueur, et l'on note qu'au moment précis où les participants commencent à avoir le sentiment de n'avoir plus grand chose à se dire, la rencontre prend fin. Histoire de ne pas vivre de temps morts, néfastes en affaires comme en amitié, et bien sûr dans notre ascèse.

J'en fus quitte pour aller présenter mes excuses au vieux Sensei, craignant une réprimande; il n'en fut rien, et le maître, hochant la tête avec compréhension (ou résignation?), m'autorisa, à ma demande, à l'accompagner le lendemain dans sa visite au temple. Son plus jeune fils, qui parlait assez bien le français, me dit ces quelques mots: "D'accord, mais... six heures et demie!"

L'on verra bientôt que la plaisanterie de mes camarades se révéla être l'un de ces coups du destin, dont on ne mesure parfois la portée qu'après que les évènements ont eu lieu. Je leur suis très reconnaissant à la vérité de m'avoir joué ce tour, car il me permit de vivre une expérience qui contribua à me faire comprendre la relation existant entre la pratique physique du Budô, et la vie spirituelle toute aussi intense qui finit nécessairement par en découler.

Le lendemain donc, je fus en avance au Yôseïkan, et craignais plus que tout avoir raté le départ du maître, qui j'en étais sûr ne m'attendrait pas. J'étais là depuis quelques minutes lorsqu'il sortit de son Dôjô (il résidait à l'étage) et se mit en route. Naturellement, je me plaçai légèrement en retrait derrière lui et suivai son allure pour gravir la colline.

Nous avions ainsi cheminé depuis un certain temps lorsque, au détour du sentier, nous nous trouvâmes face au Soleil Levant: l'astre majestueux apparaissait à l'horizon, d'un rouge orangé (alors qu'il est plutôt jaune chez nous) et semblant nous couvrir de sa chaleur bienfaisante en accueillant le jour nouveau. Maître MOCHIZUKI s'arrêta, joignit les mains, les tapa l'une contre l'autre à trois reprises, puis s'inclina très profondément; je mimai ses gestes un à un, et me tins poliment en retrait lorsqu'il entama de sa voix rauque un chant que j'imagine dédié à la Déesse solaire Amaterasu Ômikami, légendaire créatrice de la race japonaise d'après les textes anciens.

Eh bien, ce spectacle était absolument grandiose. Près de trente ans plus tard, les larmes ne sont pas loin tant l'émotion est grande en écrivant ces lignes, et je n'ai qu'une crainte: c'est de ne pas trouver l'inspiration suffisante pour décrire la scène comme elle mérite de l'être.

Crainte assortie d'un regret, celui de n'avoir jamais pu exprimer au Senseï ma reconnaissance pour cet instant unique qu'il me permit de vivre, aussi extraordinaire que la sensation de pénétrer dans la basilique de Vézelay (pour ceux qui ne connaîtraient pas cette expérience, je la recommande: avancez lentement, et ayez le coeur pur: le reste vient tout seul), ou encore de faire retentir la cloche du temple Kiyomizu à Kyôto: c'est une sorte de vibration ou magie du son qui vous remplit d'un bonheur indescriptible, en vous donnant l'impression de fondre dans l'Univers, d'en devenir soi-même un élément, un simple atome, insignifiant certes mais ô combien vivant... C'est une sensation de Paix et d'Harmonie; et l'on éprouve une sorte de reconnaissance immense envers la Création toute entière. Cette sensation ne peut se définir que comme l'Amour Universel; et, à y réfléchir, ne sont-ce pas là les deux choses qui nous tiennent le plus à coeur, à nous les adeptes de l'Aïkidô, Voie de l'Harmonie Totale?

 



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